L’approche antitrust actuelle pour contenir les géants de la tech fonctionne-t-elle ?

Technologie : Selon un expert en droit de la concurrence et en droit de la propriété intellectuelle, les amendes sont traitées comme des frais professionnels. Il estime également qu’il faut s’attaquer à la culture des grandes entreprises technologiques.

Thomas Vinje, expert en droit de la concurrence et en droit de la propriété intellectuelle, estime que l’application de la législation est largement inefficace lorsqu’il s’agit de rééquilibrer le pouvoir que les grandes entreprises technologiques sont censées avoir, car beaucoup d’entre elles considèrent que les amendes sont simplement le prix à payer pour faire des affaires.

Lors d’un webinaire organisé la semaine dernière par Global Competition Review, Thomas Vinje expliquait que sur les marchés numériques, une fois la position dominante établie, elle a tendance à rester en place, précisant que ce fut d’abord le cas pour IBM et Microsoft, dans le passé, et que c’est aujourd’hui le cas de Google, Apple et Facebook.

L’expert rejette l’idée avancée par certains que le marché se stabilisera de lui-même une fois que des précédents auront été créés par des entreprises révolutionnaires qui perturbent l’écosystème. « Les marchés numériques n’évoluent pas rapidement une fois que la domination est établie », estime-t-il. « On dit souvent – et je l’ai beaucoup entendu – que nous n’avons pas besoin d’agir, que nous n’avons pas besoin d’appliquer les lois antitrust parce que ces marchés évoluent si vite que tout problème sera résolu par le marché. Franchement, ce n’est tout simplement pas ce qui s’est passé… ce n’est pas comme ça que ces choses fonctionnent. »

Le coût des affaires

Selon Thomas Vinje, ces marchés ne se corrigent généralement pas d’eux-mêmes une fois les positions dominantes établies, car ils sont souvent protégés par des effets de réseau et d’échelle très intenses. C’est l’une des raisons pour lesquelles l’application des règles antitrust n’a pas été la solution miracle, ajoute-t-il. « Lorsque la mise en œuvre est terminée, l’entreprise dominante a généralement atteint ses objectifs, et il est rarement possible d’inverser le préjudice », avance-t-il. « Je dirais donc que la conquête est rapide, mais que le système qui en résulte est durable… et que l’innovation est perdue en vertu de cela. »

D’après lui, la deuxième raison pour laquelle l’application des lois antitrust a été largement inefficace dans ce domaine est que les remèdes ne sont souvent pas formulés de manière efficace. « Franchement, en Europe du moins, aucune mesure d’application appropriée n’est prise », indique-t-il, citant des exceptions telles que Microsoft et la bataille avec les régulateurs européens sur son choix de navigateur, Internet Explorer.

Pour l’expert, les amendes imposées par les régulateurs sont considérées par les entreprises dominantes comme n’étant « rien d’autre que le coût de la conduite des affaires ». « Google en est un bon exemple : l’entreprise s’est vue infliger une amende de plus de 8 milliards d’euros en l’espace de quelques années et je ne vois, en tout cas, aucun signe que Google remédie à sa conduite », prévient-il. « L’application des règles antitrust doit être complétée par une réglementation. »

Des changements culturels

En ce qui concerne les actions des entreprises qui ont été prises dans des allégations de position dominante, Thomas Vanje affirme que si ces entreprises considèrent probablement que leurs actions sont de bonne foi, les employés commencent à voir la situation dans son ensemble.

« Je pense que c’est dans la nature humaine de croire en ce que l’on fait, et de croire en soi. Et c’est dans la nature humaine, si vous travaillez pour une entreprise, de croire en elle … ils croient en ce qu’ils font, ils croient qu’ils ne font qu’agir correctement, et ils croient que l’application de la législation antitrust est inappropriée. Ils le croient sincèrement », raconte-t-il.

« Ce qui peut arriver, et je pense que la question de la réputation est appelée à se poser, c’est qu’après avoir été confrontée à l’application de la législation antitrust pendant un nombre suffisant d’années, après avoir été mis en lumière et avoir fait l’objet de beaucoup de publicité – et je crois savoir que c’est ce qui s’est passé chez Microsoft – ils ont fini par se dire : « Attendez une minute (…) les problèmes qui sont soulevés ont en fait une certaine légitimité » ». Selon l’expert, c’est ce qui a conduit à un changement culturel important au sein de l’entreprise.

Source : net.fr/actualites/

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