La botte secrète de l’informatique quantique pour lutter contre le réchauffement climatique

Technologie : L’intersection de la recherche quantique et de la biologie est encore une niche, mais les appels à étudier les applications de cette technologie en matière de développement durable se multiplient.

Qu’il s’agisse de concevoir des médicaments plus rapidement et plus efficacement ou de résoudre le problème du transport à l’échelle des chaînes d’approvisionnement mondiales, l’informatique quantique suscite l’espoir que les problèmes les plus complexes d’aujourd’hui, dont la plupart sont impossibles à résoudre avec les technologies existantes, pourraient un jour être résolus en l’espace de quelques minutes. Il semble donc naturel que les experts en la matière se penchent de plus en plus sur la question de savoir si les ordinateurs quantiques pourraient apporter des solutions à l’un des plus grands défis de notre époque : la lutte contre le changement climatique.

Contrairement aux ordinateurs classiques, les ordinateurs quantiques sont construits pour tirer parti des lois étranges de la physique quantique. Les ingénieurs sont encore en train de comprendre comment faire cela à grande échelle et les ordinateurs quantiques sont pour l’instant d’une utilité limitée. Il est toutefois possible que, lorsqu’un dispositif à part entière sera construit, il sera doté d’une puissance de calcul exponentielle et sera capable de résoudre rapidement des problèmes qui, autrement, nécessiteraient des quantités impossibles de temps et de ressources informatiques, même pour les supercalculateurs les plus puissants.

Comme l’a noté Q4Climate, une organisation qui rassemble des experts à l’intersection de la recherche quantique et des sciences du climat, le champ de recherche s’appliquant à découvrir comment les ordinateurs quantiques pourraient aider à lutter contre le changement climatique est actuellement presque inexistant. Cela pourrait bien ne pas durer. La société Zapata Computing, leader dans le domaine des logiciels quantiques, a ainsi établi que cette technologie pourrait avoir un impact sur divers objectifs définis par les Nations-unies en matière de développement durable, allant de l’eau potable et de l’assainissement à une énergie propre et abordable.

Une technologie encore trop jeune ?

Selon un rapport publié par Q4Climate, une mise en garde s’impose toutefois. L’informatique quantique est une technologie naissante, qui n’a pas encore effectué de calcul utile . A ce titre, toute évaluation de ses capacités futures doit être relativisée.  « Q4Climate ne dit pas que l’informatique quantique va résoudre le problème du changement climatique », explique Alexandre Blais, membre du conseil consultatif de Q4Climate interrogé par ZDNet. « Tout ce que nous disons, c’est qu’en tant que scientifiques, nous devons être attentifs et voir si nous pouvons aider. À ce stade, nous ne faisons que signaler des domaines de recherche intéressants et espérons que les experts de ces domaines relèveront le défi. »

Prenons l’exemple de la simulation quantique, qui consiste à prédire le comportement d’un système composé de molécules – un problème particulièrement difficile à résoudre pour un ordinateur classique, en raison des nombreux facteurs qui peuvent influencer la façon dont les molécules peuvent interagir entre elles. De nombreuses entreprises étudient comment l’informatique quantique pourrait améliorer la simulation de nouveaux médicaments ou de matériaux de nouvelle génération. Mais la simulation quantique pourrait également aider à créer des batteries plus efficaces, de meilleurs matériaux pour les cellules solaires ou les éoliennes, ou encore des catalyseurs plus absorbants pour les technologies de capture du carbone

En agriculture, la simulation quantique pourrait réduire considérablement la puissance nécessaire à la fabrication des engrais, qui représentent jusqu’à 2 % de l’énergie mondiale. « Faire de la chimie quantique sur un ordinateur quantique reste un défi, mais la question a été étudiée en profondeur et nous savons que nous pouvons nous attendre à des accélérations une fois que nous aurons un ordinateur quantique », explique Alexandre Blais. « Nous pouvons nous attendre à ce qu’un ordinateur quantique trouve de nouvelles façons de créer des engrais. Imaginez que nous soyons capables de réduire la consommation d’énergie ne serait-ce que d’une fraction de pour cent, ce serait un gain massif à l’échelle mondiale. »

Des avantages indéniables

Les ordinateurs quantiques devraient également exceller dans les tâches d’optimisation difficiles, ce que Q4Climate a également identifié comme un domaine d’intérêt. Les problèmes d’optimisation des réseaux électriques pourraient permettre de réaliser des économies d’énergie et de puissance, par exemple, tandis qu’une meilleure gestion des flux de circulation pourrait réduire les émissions de carbone.

La technologie pourrait également optimiser la conception des matériaux à forte intensité de carbone. Par exemple, selon le Boston Consulting Group (BCG), des matériaux plus légers, plus résistants et plus isolants dont la production nécessite moins de carbone pourraient réduire les émissions des bâtiments, des transports ou de la production de métaux tels que le ciment. Les ordinateurs quantiques pourraient donc être un outil clé dans la conception de solutions pour le changement climatique – mais ils pourraient aussi être utiles pour l’environnement, indépendamment de ces applications prometteuses.

Qu’elle soit utilisée ou non pour des calculs liés au climat, cette technologie devrait générer des gains phénoménaux en termes de vitesse de calcul, ce qui signifie que moins de ressources seront nécessaires pour exécuter les programmes les plus complexes.

Les charges de travail qui sont actuellement exécutées sur les ordinateurs classiques sont notoirement gourmandes en énergie et ne devraient consommer que davantage de ressources à mesure qu’elles se développent. « En matière d’IA, un travail de formation peut consommer l’équivalent de l’empreinte carbone de cinq voitures tout au long de son cycle de vie. C’est énorme », nous explique Tamar Eilam, un chercheur d’IBM qui étudie actuellement les moyens de réduire l’impact du cloud computing.

De la même manière, les recherches montrent que les modèles de Deep learning les mieux notés sont également les plus gourmands en ressources informatiques, en raison de leur énorme consommation de données. Il a été constaté que le cycle de vie d’un algorithme produit l’équivalent de 284 000 kilogrammes de dioxyde de carbone, soit près de cinq fois plus que les émissions d’une voiture américaine moyenne pendant toute sa durée de vie, processus de fabrication compris. Un ordinateur quantique qui effectue des calculs plus rapidement pourrait réduire ces chiffres.

Plus d’efficacité énergétique

« Comme il faut beaucoup moins de temps pour effectuer le calcul, il sera également beaucoup plus efficace en termes d’énergie », explique Tamar Eilam. « Pour un calcul donné, si vous pouvez le résoudre plus rapidement avec un ordinateur quantique, cela entre dans l’équation de calcul de la quantité d’énergie que vous consommez. »  Bien sûr, l’équation s’accompagne de nombreux autres facteurs : par exemple, les ordinateurs quantiques tels que ceux développés par Google et IBM, qui sont connus sous le nom d’ordinateurs quantiques supraconducteurs, ont des exigences strictes en matière de refroidissement et doivent être maintenus à des températures plus froides que l’espace.

Reste que les premières recherches dans ce domaine semblent indiquer que la consommation énergétique globale des ordinateurs quantiques sera inférieure à celle des dispositifs classiques. On a constaté, par exemple, que la recuiteuse quantique 2000Q de D-Wave consommait quatre ordres de grandeur d’énergie en moins que le supercalculateur Summit d’IBM, qui est l’un des dispositifs classiques les plus puissants au monde.   De même, des scientifiques du Oak Ridge National Laboratory ont calculé que les ordinateurs quantiques ont le potentiel de réduire la consommation d’énergie de plus d’un million de kilowattheures.

Il reste encore beaucoup de recherches à effectuer avant que ces chiffres puissent être confirmés par une utilisation réelle de la technologie. À mesure que la taille des ordinateurs quantiques augmente, de plus en plus de paramètres joueront un rôle dans la détermination de l’empreinte environnementale des appareils, allant de la consommation d’eau à l’utilisation de matériaux renouvelables dans la fabrication des puces.  Mais même en tant que scientifique extérieur à l’informatique quantique, Tamar Eilam nourrit de grands espoirs quant à la capacité des ordinateurs quantiques à réduire l’impact environnemental du monde numérique. 

Un combat de longue haleine

« Dans le domaine de la durabilité et l’informatique quantique est véritablement une solution que nous étudions », assure ce dernier. « Nous ne devrions pas parier sur une seule technologie, mais nous devrions absolument examiner plusieurs pistes différentes et prendre certains risques en explorant ces pistes. »  Dans ce cas, le risque le plus important découle du calendrier : il faudra peut-être attendre une décennie avant que l’informatique quantique ne commence à tenir ses promesses, si tant est qu’elle les tienne. Cela semble trop long compte tenu de l’urgence du défi climatique.

Les spécialistes de l’informatique quantique en sont conscients, et rares sont ceux qui défendent l’idée que l’informatique quantique est la solution ultime au changement climatique. Cette technologie est plutôt considérée comme un outil possible pour aider les efforts environnementaux à long terme.   « Le changement climatique est malheureusement un problème à long terme », déclare Alexandre Blais. « Si nous agissons maintenant, nous devrons encore prêter attention à ce problème dans 10, 20 ou 40 ans. Ce sont les échelles de temps que nous envisageons ».

Dans l’immédiat, il s’agit donc d’intensifier les efforts pour construire des ordinateurs quantiques à grande échelle capables d’exécuter des algorithmes utiles – un objectif dans lequel les gouvernements et les entreprises investissent massivement, et où l’activité ne manque pas.  La prochaine étape, qui sera peut-être la plus difficile, consistera à inciter les groupes de recherche quantique à appliquer leurs efforts à des cas d’utilisation des ordinateurs quantiques axés sur le climat. Le potentiel existe, et les résultats pourraient changer la donne. Toutefois, il sera plus facile de dire que de faire de ces résultats une réalité. 

Source : ZDNet.com

Catégories