« Le droit à la protection des données personnelles ne peut en effet être interprété comme un droit à faire disparaître à première demande des contenus médiatiques publiés sur internet, indépendamment d’un abus de la liberté d’expression et des règles de procédure destinées à protéger cette liberté fondamentale, dans la mesure où ils constituent un vivier d’informations à disposition des internautes devant pouvoir faire des recherches y compris sur des évènements passés », estime le tribunal judiciaire dans un jugement du 30 juin 2021. En conséquence, il a jugé que le droit à l’oubli ne pouvait pas empêcher le journal 20 Minutes de diffuser un article rapportant une condamnation pénale vieille de plus de 10 ans d’un ex-responsable d’un club sportif. Il a ainsi débouté les demandes de ce dernier de suppression et d’anonymisation de l’article fondées sur le droit à l’effacement des données personnelles et à l’opposition à leur traitement.
En 2009, le journal 20 Minutes avait publié sur son site internet un article concernant la condamnation d’un ancien responsable du Racing Club de Paris pour abus de confiance et abus de bien sociaux par le tribunal correctionnel de Nanterre, décision partiellement infirmée en 2011. En 2019, la personne concernée a mis en demeure le journal de supprimer l’article, ou à tout le moins de l’anonymiser pour qu’il ne soit plus indexé par les moteurs de recherche, se fondant sur le droit au déréférencement et le droit d’opposition figurant dans le RGPD. Le quotidien a mis à jour son article, mais a refusé de retirer l’article ou de l’anonymiser. N’ayant pas donné suite aux demandes réitérées de l’ex-responsable du club, il a été assigné en justice.
Le tribunal a procédé à la mise en balance du droit à la protection des données personnelles et des autres droits fondamentaux pour faire primer le droit à l’information. Il rappelle que pour l’article 17 concernant le droit au déréférencement ou « droit à l’oubli » et l’article 21 relatif au droit d’opposition du RGPD, les éditeurs de presse bénéficient d’un régime dérogatoire prenant en compte le caractère essentiel de leur activité pour la préservation de la liberté d’expression et d’information. L’activité de presse n’est pas assimilable à celle d’un moteur de recherche, qui est de publier de l’information et non de la repérer, rappelle le tribunal. Ainsi les principes de droit à l’oubli interprétés par la CJUE dans l’affaire Google Spain ou par la Cour de cassation ne peuvent pas s’appliquer en l’espèce. Et concernant la demande d’anonymisation de l’article, le tribunal estime que cette mesure « serait de nature, compte tenu de son objet étroitement lié à la condamnation et aux circonstances de son prononcé, à faire perdre pour le public tout intérêt à l’article en cause, et excéderait dès lors les restrictions pouvant être apportées à la liberté de la presse ». Quant à l’objection du caractère ancien de l’information, le tribunal explique qu’en « mettant en ligne leurs archives via un site internet permettant la consultation d’articles plus anciens, est aussi de participer à la formation de l’opinion démocratique et de permettre au public, à cette fin, d’être informé non seulement des évènements d’actualité, mais aussi d’informations plus anciennes conservant une pertinence au regard du sujet d’intérêt général évoqué dans l’article en cause, tel que cela a déjà été indiqué ». Il en conclut que « l’article ne constitue pas, contrairement à ce que soutient le demandeur, une atteinte disproportionnée au droit au respect de sa vie privée qui serait de nature à remettre en cause ce constat dès lors d’une part que la condamnation pénale évoquée dans l’article a déjà été prononcée en audience publique et a fait l’objet de divers articles de presse, ce qui est de nature à relativiser l’atteinte éventuellement portée par son rappel dans l’article, qu’il n’est d’autre part pas justifié d’une diffusion importante dudit article. »
Source : https://www.legalis.net/actualites/