Technologie : Les années 1990 avaient un mot pour désigner le fait d’être piégé dans une notion manipulatrice de contact humain : AOL. Facebook et ses semblables sont la renaissance de cette vision limitée.
Il était une fois, il y a environ 30 ans, un réseau informatique appelé America Online. AOL, comme on l’appelait généralement, était connu pour ses petites disquettes envoyées par courrier, ou parfois glissées au milieu de magazines populaires, comme autant de portes d’entrée pour surfer sur internet. Internet existait déjà, mais la plupart des gens ne savaient pas comment l’utiliser, ni même qu’il existait.
AOL et deux de ses concurrents, Compuserve et Prodigy, proposent aux gens des activités en ligne, comme des discussions avec d’autres personnes. Ces services aident surtout les gens à contourner les aspects difficiles de ce que l’on appelle les protocoles internet. Pour rappel, les ordinateurs doivent communiquer par le biais de connexions qui nécessitent une ligne de communication dédiée et une adresse IP, qui à son tour nécessite un logiciel appelé TCP/IP, dont ne disposaient pas encore ces ordinateurs.
Au lieu de cela, la petite disquette livrée par AOL permettait à une personne de brancher son ordinateur sur son modem téléphonique et d’appeler un ordinateur serveur qui l’admettrait dans le monde d’AOL ou de Compuserve ou Prodigy.
Des services encore limités
Ces services n’avaient qu’un seul inconvénient, celui d’être limités. Les gens ne pouvaient pas faire tout ce qu’ils voulaient, ils ne pouvaient choisir que dans un petit menu de fonctions, comme le chat, ce que les services proposaient. Et les services sont restés à peu près les mêmes pendant des années, parce qu’il n’était pas dans leur intérêt de changer alors que les disquettes continuaient à attirer du monde.
Le grand public se fichait que les services soient limités et ne changent pas. Ils étaient simplement excités d’être dans un endroit appelé le cyberespace. Soudain, ils pouvaient envoyer un message à quelqu’un dans une autre ville, voire un autre pays, et même à des personnes qu’ils n’avaient jamais rencontrées. Les gens pouvaient également adopter une identité secrète et l’anonymat rendait l’interaction encore plus excitante.
A peu près au même moment qu’AOL, une personne intelligente du nom de Tim Berners-Lee, qui travaillait dans un prestigieux organisme de recherche, a publié un logiciel que les gens pouvaient utiliser pour se connecter de leur ordinateur à n’importe quel ordinateur disposant également de ce logiciel. Il s’agissait du World Wide Web. Le logiciel a rapidement attiré l’attention de nombreuses personnes et les a époustouflées. Avec une véritable connexion internet, une personne pouvait atteindre n’importe quel ordinateur dans le monde. Les gens ont alors vu qu’ils n’avaient pas à accepter le petit menu de fonctions que leur proposait AOL.
A la découverte du cyberespace
L’excitation qu’ils ressentaient lorsqu’ils envoyaient un message à une personne habitant une autre ville s’est amplifiée d’autant. Le grand public avait le sentiment que le petit endroit du cyberespace où ils avaient vécu jusqu’à maintenant n’était rien comparé au vaste univers initié par Tim Berners-Lee. Cette excitation a poussé même les gens ordinaires à chercher comment s’inscrire auprès d’une chose appelée « fournisseur d’accès à internet ». Il fallait comprendre ce qu’on appelait le « protocole point à point », ce qui revenait presque à apprendre la science, mais était moins ennuyeux que toutes les disquettes.
Au fur et à mesure qu’il grandissait, le World Wide Web est devenu un endroit étonnant par rapport à AOL. Les gens ont découvert qu’ils pouvaient consulter des articles et des magazines entiers écrits par des personnes qu’ils n’avaient jamais rencontrées, même à l’autre bout du monde. Il y avait également un flux constant d’innovations, avec l’apparition constante de nombreux logiciels qui rendaient la « navigation » sur le web étonnante. Les utilisateurs ont même découvert d’autres aspects d’internet, comme le « protocole de transfert de fichiers », qui leur permettait d’obtenir des tas de choses que personne n’eût jamais vu sous forme de fichiers.
Des programmes tels que « finger » permettaient de voir qui avait été en ligne, ce qui, là encore, a époustouflé les gens. Les gens étaient si excités par le World Wide Web qu’ils ne voulaient plus jamais revenir à AOL, Compuserve ou Prodigy. Ces trois services ont dépéri. La plupart des personnes âgées ont conservé leur compte AOL parce qu’elles avaient toujours une adresse électronique liée à AOL et qu’il était un peu compliqué d’essayer d’obtenir une nouvelle adresse électronique. Mais au fil du temps, avec l’aide de la jeune génération, même ces personnes sont parvenues à utiliser de nouveaux services de courrier électronique et à profiter du web.
Un inconnu nommé Mark
Des personnes ont bien essayé de créer un autre AOL. Notamment un fonds de capital-risque, qui a dépensé près de 50 millions de dollars pour créer un site qui ressemblerait plus à la rencontre de vraies personnes, appelé Friendster. Il a connu un certain succès au début, car les gens voulaient vraiment rencontrer non seulement de nouvelles personnes, mais aussi des personnes qu’ils connaissaient. Puis le destin de Friendster s’est assombri et la plateforme a été vendue – pour beaucoup moins d’argent qu’il n’en avait fallu pour la construire – à une société malaisienne de paiements en ligne. La plupart des gens ont oublié Friendster.
Aucun de ces échecs n’a découragé les milieux d’affaires, qui ont créé de nouveaux services. Notamment un service appelé MySpace, où les gens pouvaient publier des informations sur leurs groupes de musique favoris. Finalement, quelques personnes intelligentes ont trouvé une formule et ont créé de tous nouveaux lieux de rencontre. L’un d’eux s’appelle Facebook. Les gens se sont enthousiasmés pour Facebook parce que c’était un endroit où ils pouvaient trouver de vraies personnes qu’ils connaissaient, tout comme MySpace, mais aussi parce qu’il avait certaines fonctionnalités comme AOL, comme le jeu Farmville.
Facebook a commencé à générer beaucoup de revenus publicitaires. Les annonceurs appréciaient Facebook parce qu’ils ne savaient pas seulement qui parlait à qui, il connaissaient aussi un peu les passe-temps et les intérêts des gens. Les annonceurs aimaient cela car ils pouvaient utiliser ces informations pour « cibler » leurs publicités comme jamais auparavant.
Facebook ne va pas sans problème
Au fur et à mesure que les personnes seules rencontraient de nouvelles personnes – et d’anciens amis – par le biais de Facebook, ce dernier n’a cessé de croître. Son chiffre d’affaires est passé de 153 millions de dollars par an à deux milliards de dollars, puis à 18 milliards de dollars, jusqu’à ce qu’un jour il réalise près de 120 milliards de dollars par an en vendant des publicités lorsque les gens font des choses ensemble. Facebook est devenu l’une des entités les plus puissantes au monde parce qu’il connectait tellement de gens qui faisaient des choses, presque deux milliards de personnes.
Reste que la plateforme de Mark Zuckerberg n’est pas sans défaut. Facebook ressemble en effet beaucoup à AOL, car la plateforme limite les gens en leur disant avec qui ils peuvent communiquer. Et contrairement à AOL, Compuserve et Prodigy, les gens ne peuvent pas adopter n’importe quelle identité amusante, comme picklefinger0237. Ils doivent logiquement se présenter comme ils sont, car les publicitaires aiment savoir qui parle à qui. Cela a plu à nombre d’utilisateurs, qui ont pu se construire une personnalité en montrant des photos d’eux-mêmes et en parlant beaucoup d’eux-mêmes.
Ce qui ne va pas sans inquiétude. Des observateurs ont remarqué que Facebook et les services similaires ne se contentaient pas de limiter qui pouvait parler, et à qui ces personnes pouvaient parler. Ils ont également remarqué que les services manipulaient la façon dont les gens se parlaient entre eux, avec des algorithmes informatiques. L’un des problèmes de Facebook est que les gens n’ont plus le contrôle. Ils ont donné tellement d’informations sur eux-mêmes à Facebook et à ses concurrents que c’est comme si ces entreprises possédaient les gens lorsqu’ils sont dans le cyberespace.
Un nouvel horizon à venir ?
Les services de Facebook ne semblent pas non plus faire un excellent travail en matière de traitement des informations des personnes. Même s’ils ne laissent pas les gens parler à qui ils veulent, Facebook et les autres services vendent les informations des gens à des personnes qu’ils ne connaissent pas dans des pays lointains. Et partout où une personne va sur internet, Facebook et ses concurrents permettent aux annonceurs de la suivre à la trace, ce que les gens n’avaient jamais prévu en s’inscrivant.
Les conséquences sont devenues de plus en plus graves. Les gens pensent être en relation les uns avec les autres, mais en réalité ils se crient dessus comme dans une bagarre à la cantine. La raison de ces cris est que les outils algorithmiques ne rapprochent pas vraiment les gens, mais encouragent des comportements répétitifs, comme celui de mettre les gens en colère en affichant constamment les propos les plus incendiaires sur tout et n’importe quoi. Tout cela a pour but de classer le comportement des gens dans des catégories pratiques afin de communiquer un signal d’achat clair aux annonceurs.
Même les personnes qui étaient enthousiastes à l’idée de créer leur marque ont désormais des doutes. Ils soupçonnent parfois que leur identité n’est pas réelle et qu’ils ne sont plus que le fruit d’une base de données publicitaire qui leur construit une identité afin de maintenir la fréquentation de Facebook et d’autres services. C’était presque comme si les gens n’existaient plus lorsqu’ils étaient dans le cyberespace. Reste que les gouvernements mondiaux semblent aujourd’hui avoir pris conscience du problème et que de nouvelles lois pourraient bientôt ramener de l’ordre dans le cyberespace. Aux acteurs de l’internet de construire la nouvelle page du web.
Source : ZDNet.com